DIMANCHE 8 JUIN 2014
PENTECOTE
Les Apôtres étaient réunis le jour de la Pentecôte, sans plus de
précision, nous dit saint Luc dans la première lecture. Saint Jean, dans
l’évangile, affirme lui que les mêmes apôtres étaient réunis dans une
salle verrouillée car ils avaient peur des juifs. Qui croire ? Ou
comment unifier ces deux réalités au-delà du fait que ce n’était pas le
même jour ?
Il y a certainement plusieurs explications possibles, mais je ne
voudrais en retenir qu’une seule : le don de l’Esprit Saint fait sortir du
lieu où on est enfermé. Depuis 2000 ans, les chrétiens sont de sortie, à
la suite des apôtres, pour annoncer le Christ ressuscité, comme il nous
l’a demandé. Et pour nous y aider, la liturgie présidée par un évêque,
successeur des Apôtres, commence toujours par la salutation du Christ
ressuscité : « la paix soit avec vous ». Parce que c’est précisément de
la paix du Christ dont nous avons besoin pour sortir de chez nous et
affronter les conflits et les oppositions du monde au Christ et à
l’Eglise. C’est la paix du Christ « en interne », « à l’intérieur » du
groupe des apôtres – ce qui veut dire dans la communion de toute
l’Eglise – qui permet de sortir pour prononcer « à l’extérieur » le nom
du Christ sauveur, Jésus.
Notre rassemblement ce matin est « à l’intérieur » et nous savons bien
que des milliers de personnes déambuleront aujourd’hui à Dieppe, en
habitués, en touristes, contents d’avoir un week-end de 3 jours et
pensant même que la Pentecôte c’est le lundi ! En vérité, ils ont raison
sur 2 points : ils sont dehors, comme les apôtres depuis 2000 ans et ils
ont tout compris au fait que le temps ordinaire de la liturgie catholique
qui commence demain est vraiment le temps de l’Esprit Saint, le
temps de l’annonce, le temps pour rejoindre les contemporains et leur
annoncer le nom de Jésus qui donne sa paix.
Parfois je me demande si les chrétiens veulent encore recevoir la paix
du Christ. Nous nous la donnons au cours de la messe, à notre éternel
même voisin de droite et de gauche que nous avons d’ailleurs déjà
salué au début de la messe. Certains, en revanche, se transforment en
statue de marbre pour ne pas avoir à accomplir le geste antique de la
transmission de la foi. Ils sont peu nombreux mais un seul suffit à
gâcher l’invitation du prêtre qui agit au nom du Christ. Jusque là, rien
de fondamentalement grave. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est
quand on a l’impression que la Tour de Babel est à l’intérieur de nos
murs ; quand on entend les chrétiens de Janval dire qu’ils ne parlent
pas aux chrétiens de Saint-Jacques et que ces derniers affirment
n’avoir aucune connaissance des chrétiens de Neuville. Je ne prends
qu’un exemple local, car évidemment le scandale est visible par tous
quand il s’agit des protestants, des catholiques et des orthodoxes.
L’énergie perdue à nous détester est fondée sur la peur de perdre nos
acquis et nos certitudes plutôt que d’en sortir et de nous réjouir de la
grâce du baptême unique qui fait de nous des fils et filles de Dieu et
donc des frères et soeurs.
L’Esprit Saint nous fait sortir. Il est bon de se souvenir que
l’eucharistie et l’évangélisation sont nées dans un même lieu : à
Jérusalem, au Cénacle. Le dernier repas du Christ le Jeudi Saint et le
rassemblement des apôtres le jour de la Pentecôte sont un seul et
même lieu. Et c’est de là que tout le monde est sorti : le Christ
continue de sortir de sa relation éternelle au Père pour venir en nous
au cours de chaque messe et l’Esprit Saint ne cesse de nous
renouveler, de nous encourager, de nous fortifier pour nous permettre
d’annoncer Jésus sauveur.
A Dieppe, nous avons l’avantage de la richesse : nous avons tellement
de lieux pour nous rassembler que nous pouvons décider de ne pas
faire un seul effort pendant toute notre vie pour aller à la rencontre des
autres catholiques (ceux d’en bas, d’en haut, de l’autre côté) ; alors
forcément aller à la rencontre du monde pour l’évangéliser, mon père,
vous êtes bien gentil, mais on verra une autre fois. Le cocooning
spirituel a du coup pris la place de la peur, puisqu’il n’y a pas de
raison d’avoir peur car nous sommes bien entre nous. Que l’Evangile
est alors loin… Mais si le Christ nous donne sa paix, c’est parce qu’il
sait bien que cela va être particulièrement dur, que nous allons
souffrir, que nous allons devoir apprendre à nous parler, à nous
réconcilier, à remettre sans cesse notre ardeur au travail. Aujourd’hui
à Dieppe, personne ne pose la question que les gens ont posée à
Jérusalem ! Personne ne dit : « comment se fait-il que chacun de nous
les entende dans sa propre langue ? janvalais, bruyérais, valdruélais,
jehan-angotais, bracquais, delvincourtais, émulationnais, pablonérudais,
davigelais, nestlais, alpinais, poletais, neuvillais, grandruais…
», parce que nous restons entre nos murs. Mais ces murs vont
tomber sur nous et nous ensevelir, comme vos pères, dans des
sépulcres blanchis sur lesquels on marchera sans s’en rendre compte.
Nous connaissons la sévérité de Jésus à ce sujet. Alors pour ne pas
recevoir les éclats de la colère de Jésus, nous allons demander à
l’Esprit Saint la force de sortir de ces murs, de sortir de la laïcité
sclérosante que nous sommes les premiers à brandir pour respecter le
non-croyant alors qu’on ne respecte pas les croyants, de sortir de notre
ignorance mutuelle qui entre chrétiens nous tue à petit feu et nous
empêche de proclamer la joie de l’Evangile.
Pour nous permettre de le faire, pour vivre de l’Esprit Saint, nous
allons maintenant découvrir le don que nos voisins ont reçu.
Janval : Je vous invite à prendre le carton que vous avez reçu et à le
lire à haute voix à votre voisin de droite ou de gauche, puis vous lui
donnerez ce carton, avec un don particulier de l’Esprit Saint, qui vous
accompagnera désormais comme le don d’un frère ou d’une soeur et
qui s’engagera à prier pour vous et l’application de ce don dans votre
vie.
Saint-Jacques : Je vous invite maintenant à lire à haute voix à votre
voisin de droite ou de gauche ce qui est écrit dans le cadre de la
dernière page de votre livret. Et vous lui donnerez votre livret, comme
pour lui donner ce don qui l’accompagnera désormais dans sa vie
apostolique et vous prierez pour ce frère ou cette soeur.
Ce ne sera pas Babel, mais Jérusalem ! Le brouhaha ne sera pas celui
de la dispersion des langues mais de l’unité de l’Esprit Saint qui se
donne à nous par d’innombrables langues de feu !
Amen
Geoffroy de la Tousche
Curé de Dieppe