TEMPS INTERRELIGIEUX DE PRIERE POUR LA PAIX
DIMANCHE 8 JUIN 2014
EGLISE SAINT-JACQUES
L’histoire d’Abraham, le Père des Croyants, commence avec un ordre
que Dieu lui donne : « Va, quitte ton pays ». Et Abraham obéit à Dieu.
Il est pourtant âgé, il aurait des justifications pour ne pas quitter son
pays. La parole de Dieu est cependant si forte dans son coeur qu’il la
met en application immédiatement. Ce soir, Dieu nous demande à tous
de quitter aussi notre pays. Et je considère que nous l’avons fait. Nous
sommes venus pour accomplir une démarche qui nous fait sortir de
notre terre, qui nous décale dans nos convictions, qui nous
déséquilibre. Eh bien, c’est dans ce déséquilibre que Dieu nous parle
et veut nous faire prendre le risque de la prière. Le Pape François,
catholique, est en ce moment même avec le président palestinien, un
musulman, et le président israélien, un juif, pour prier pour la paix.
L’Argentin est en Italie : il n’est pas chez lui et il accueille les chefs
de deux états qui se battent depuis 1948 pour un morceau de terre. Ils
sont accueillis comme des frères pour reconnaître que personne n’est
propriétaire mais locataire. « Quitte ton pays », c’est donc quitter sa
propriété ; ce que l’on considère comme juste, comme acquis, comme
certain, comme devant être respecté. Le récit biblique de la création
nous explique que nous sommes frères parce que nous sommes tous
façonnés de la même glaise, de la même terre et aucun lopin de cette
terre ne saurait justifier que je tue mon frère. En ce sens, la lutte pour
un morceau de terre est en réalité un combat contre la fraternité
humaine.
Si Abraham est devenu le Père des Croyants, c’est parce qu’il a
accepté de ne rien avoir, de ne rien posséder, de tout quitter. Croire en
Dieu, c’est cela : c’est prendre le risque de confier sa vie à un autre.
La paix, c’est cela : prendre le risque de confier sa vie à un autre.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale que nous venons de fêter
avec le triomphe du 70e anniversaire du débarquement, le monde vit
dans la crainte d’un nouveau conflit mondial à cause d’un tout petit
territoire sur lequel des hommes n’arrivent pas à s’entendre, car ils ne
se reconnaissent pas comme frères. Alors leur terre est devenue un
cimetière. L’enfant qui nait aujourd’hui en Terre Sainte, nait avec le
risque permanent de la mort violente. Plutôt que de le mettre debout,
le conflit sur cette terre le met en situation d’être en terre sans avoir eu
le temps de respirer. Bref, ce conflit qui n’a que trop duré, peut se
résumer à un champ de morts. Tout est horizontal, car on n’enterre pas
les morts debout. Alors que l’homme est appelé à être un vivant, un
souffle, pour devenir un face à face avec son frère. Il est temps – et
c’est ce que nous faisons ce soir – de nous mettre debout et de relever
nos frères. Il est temps de reconsidérer que l’homme debout, même
s’il demeure poussière dans l’univers, est la plus grande, la plus noble,
la plus extraordinaire des créatures, car Dieu lui a donné de pouvoir
lui parler et de se parler entre eux. Mais quand les hommes ne se
parlent plus, ils oublient Dieu. Ce soir, nous voulons mettre, remettre
ou peut-être même découvrir de la transcendance, de la verticalité, de
la prière dans notre vie.
Prier, c’est oser dire que l’on ne possède rien et que l’on fait
confiance.
Abraham a fait confiance.
Le Pape François a confiance. Mais comme il sait qu’il n’est pas tout
seul et qu’il ne peut pas être tout seul à porter cette confiance, il a
bousculé l’humanité entière en allant à Jérusalem pour inviter le
monde à quitter son pays. Dans une déclaration très humble, il a
demandé qu’on l’aide dans cette démarche de prière pour la paix. Ce
soir, nous répondons à son appel, nous comprenons que la parole du
pape est une parole d’appel à la paix au milieu du champ de cadavres
que nous sommes en train d’offrir à nos enfants, en continuant de leur
sourire avec hypocrisie pendant que nous décidons de ne plus saluer
notre voisin parce qu’il a touché le pare-choc de notre voiture avec sa
poubelle, ou notre propre frère de sang parce qu’il nous a vexé et que
nous avons décidé que ce n’était pas à nous de faire le premier pas
pour donner notre pardon, reprendre le dialogue, construire à nouveau
une relation toujours fragile ; bref parce que nous avons décidé que
nous étions propriétaire et que le principe de la propriété c’est de ne
pas partager. Alors la prière de ce soir est une prière pour nos frères,
avec nos frères, pour dire que nous voulons sortir de ces ornières, pour
croire qu’il est possible de se relever, de se serrer la main, de
construire un monde dans lequel chaque nouveau souffle aura de
l’espace pour respirer, être heureux et transmettre à son tour la vie.
Nous ne devons pas oublier qu’en quittant son pays, Abraham a
traversé le désert : non seulement il ne savait pas où il allait, mais en
plus il a perdu tous ses repères. Il a dû s’appuyer sur les étoiles du
ciel. Les étoiles de la bénédiction de Dieu qui lui avait promis une
descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel. Il a donc marché
en pensant à nous. Il a traversé le désert en peinant pour nous, en
priant pour nous, en demandant à Dieu que l’avenir de l’humanité ne
soit pas un cimetière mais un projet, un risque. Abraham a traversé le
désert en faisant confiance à Dieu, en nous confiant à lui et en
suppliant Dieu que nous puissions nous aussi faire confiance.
C’est cette confiance dont nous voulons vivre à Dieppe. Cette ville est
belle par son port : depuis des siècles, des hommes sont partis d’ici, à
l’aventure, au risque. Ils ont quitté leur pays, ils ont peut-être pleuré
en voyant la falaise disparaître de leurs yeux, mais ils ont cru que les
étoiles allaient les guider dans la nuit de leur foi. C’est pour cela que
Dieppe répond à l’invitation de ce soir. Nous voulons partir, nous
voulons quitter nos certitudes, nous voulons apprendre à naviguer
ensemble pour montrer qu’humblement, avec nos différences, nous
pouvons construire une ville dans laquelle tout le monde a sa place,
chacun à son poste, chacun debout, chacun espérant, chacun priant,
chacun agissant pour le bien de tous, loin des certitudes du
propriétaire qui prépare un héritage pour après sa mort. Dieppe
devient ce soir un nouveau phare pour le monde entier. Je n’ai pas
peur de le dire : c’est notre vocation. Ne pas rester entre gens qui se
connaissent, mais partir à l’aventure de la découverte de l’autre, du
frère, grâce à Dieu. Et j’ose dire, même pour les soi-disant
« incroyants ». Je ne crois pas qu’il y ait des incroyants, des sansespoir,
des sans-avenir. Il y a ici un peuple qui veut vivre et fêter la
vie. Il y a ici un peuple qui veut prier, se rencontrer et construire une
ville de paix. Nous en sommes ce soir les témoins. C’est le début
d’une traversée du désert pour chacun d’entre nous. C’est le début
d’une nouvelle aventure pour dire notre espérance pour le monde.
Chacun de nous est ce soir Abraham. Et à chacun d’entre nous, Dieu
dit : « quitte ton pays ». C’est là qu’est mon bonheur. C’est là qu’est
mon frère. C’est là qu’est la paix. Ta terre, c’est ton coeur. Là où est
ma terre, mon trésor, là est mon coeur.
Geoffroy de la Tousche
Curé de Dieppe