SAINT MARTIN
11 NOVEMBRE 2014
L’histoire des hommes peut se lire de bien des manières. Le calendrier est une
pièce maîtresse pour comprendre et décrypter des événements fondateurs de
notre humanité.
Aujourd’hui, 11 novembre, dans l’Eglise, nous célébrons saint Martin ; le monde
commémore l’armistice de la première guerre mondiale, dans la forêt de
Rethondes.
Martin est né en Hongrie au 4e siècle. Sa traversée de l’Europe l’a amené au
Christ par le biais de l’armée de l’Empire romain. Sa rencontre à Amiens avec un
pauvre sans vêtement au coeur d’un hiver rigoureux a transformé sa vie. En
donnant la moitié de son manteau, Martin a donné tout ce qui lui appartenait,
puisque le paquetage des soldats romains appartenait pour moitié à l’Empire.
Martin ne pouvait donc pas donner ce qui n’était pas à lui. Il a donc donné la
moitié, ce qui veut dire tout ce qui lui était en propre. La nuit qui a suivi, dans un
songe, Martin entend le Christ lui déclarer que c’est à lui qu’il a tout donné.
Désormais chrétien puis évêque, Martin le soldat de l’Empereur va devenir
l’apôtre de la miséricorde de Dieu. Au coeur de la violence d’une société
sanguinaire, il va établir des paroisses, construire des églises, des prieurés, des
monastères, partout en Gaule. Au point que Martin est le plus répandu des noms
pour les communes de France. Célébrer la messe de Saint-Martin à Martin-
Eglise est donc une réalité naturelle.
Mais au coeur de la messe, il faut passer à une autre dimension. Le calendrier
expose les faits. Entrons maintenant dans la dimension surnaturelle de ce qui
nous rassemble.
1500 ans après la mort de Martin, l’Europe qu’il a sillonnée est à feu et à sang.
Des peuples, tous chrétiens, se déchirent pour des territoires alors que tous ces
baptisés savent que leur patrie est au ciel et que dans leur cercueil ils
n’emporteront aucun titre de propriété. Ces guerres de territoires exacerbent la
jalousie, la haine et la vengeance. La première guerre mondiale est une
expression terrible : elle indique que le monde entier peut être en guerre et
surtout que s’il y a une première, c’est qu’il peut y avoir une deuxième, puis une
troisième puis encore numéros de guerres mondiales.
Aujourd’hui, 11 novembre 2014, nous entrons officiellement, dans l’Europe
entière surtout, mais dans le monde aussi, dans la commémoration d’un
centenaire qui a blessé en profondeur les relations entre les hommes. Nous avons
quatre ans pour parvenir à une commémoration sans hypocrisie du centenaire de
l’armistice, le 11 novembre 2018. Quatre ans pour apprendre en vérité à être des
hommes de paix, à devenir des artisans de la miséricorde, pour comprendre
comme Martin que si nous ne donnons pas tout de notre vie pour la paix, nous
agirons toujours comme des propriétaires de réalités dont nous ne sommes en
vérité que des locataires.
Le choix de l’Europe de ne pas reconnaître ses racines chrétiennes a propulsé
l’Europe dans un type de relations conflictuelles. En choisissant de retarder
l’Europe politique, l’Europe des nations, l’Europe de la culture, pour instituer en
premier l’Europe de l’économie, l’Europe de l’euro, l’Europe de l’argent, on a
décidé d’éduquer nos enfants à partir du porte-monnaie, à partir de l’horizontal
plutôt qu’à partir du vertical.
Or quand les maréchaux allemands et français signent l’armistice en 1918, ils
décident de sortir des cimetières des longues plaines du Nord, de la Somme, de
la Marne, pour proposer un nouveau regard : le regard de la paix. En signant
l’armistice le 11 novembre, peut-être ne le décident-ils pas ainsi consciemment,
ils se mettent sous le patronage de Martin le Miséricordieux ; ils mettent
l’Europe sous le manteau du pardon. Il faudra encore des décennies et
malheureusement une nouvelle guerre mondiale, puis une guerre froide, pour
construire un continent de relations internationales sans guerre.
Mais, que cette paix est fragile ! Nous sommes chaque jour les témoins de la
fragilité de nos pays, de nos institutions, de nos coeurs. Nous sommes, 100 ans
après la première guerre mondiale, les témoins que la paix se construit chaque
jour, avec nos voisins et avec nous-mêmes. Mais si nous n’avons qu’un horizon
horizontal, tout cela se terminera sans espérance, dans le cercueil de nos
cimetières. L’appel est clair. Nos pays, nos coeurs sont fatigués de cette haine, de
cette arrogance, de ce pouvoir de l’argent qui nous aveugle et empêche des
relations honnêtes, vraies et joyeuses. Notre continent si impressionnant pour la
construction d’une civilisation, si beau par sa culture et sa foi, est aujourd’hui
triste, fade et déprimé, en manque de projets et de désirs. Il ne cherche pas la
paix, il cherche l’argent. Il ne cherche pas le Christ, il se prend pour un dieu.
Alors aujourd’hui, comme pour Martin, entendrons-nous l’appel de Dieu à tout
donner ? Entendrons-nous que la croix du Christ est notre seule espérance, parce
que c’est sur cette croix que le véritable armistice a été signé entre Dieu et les
hommes et que les hommes n’en veulent toujours pas ?
L’armistice de 1918 est une étape pour la réconciliation du monde avec Dieu.
L’armistice de 1918 est une date dans le calendrier de l’humanité qui a rendezvous
avec le Dieu de la paix, par le Christ sauveur de nos vies. Que cette messe
qui fait mémoire de tous ces soldats tombés dans les tranchées, de ces épouses
veuves si jeunes et de ces enfants orphelins de guerre, soit pour nous la messe de
l’espérance, la messe de l’armistice avec Dieu, la messe de la paix pour nos
coeurs, pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe, pour le monde. Amen.
Geoffroy de la Tousche
Curé de Dieppe