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MARDI 20 MAI 2014

EGLISE SAINT-JACQUES

INHUMATION DE FRANÇOISE WILLY


L’Evangile que nous venons de proclamer pour Françoise n’a pas été proclamé

pour provoquer un quelconque malaise dans la communauté ni auprès de

l’humanité. Le jugement que Jésus annonce est celui de l’amour et de la

miséricorde.

Depuis des années, une humanité a été au service de Françoise. Aussi bien des

individus que des associations nombreuses. Et pourtant, nous devons

reconnaître que rien apparemment n’a permis à Françoise de rejoindre un cadre

stable dans des critères qui nous semblent être ceux de la vie en société. Un

peu comme son habitude au Pollet de jeter ses ordures par la fenêtre était

devenue le symbole de sa vie et de ses réactions par rapport à la société. En

bref, ce n’est pas très éloigné de notre société de gaspillage qui nous fait jeter

objets et nourriture en grande quantité dans nos immenses poubelles ramassées

chaque jour à Dieppe et ailleurs dans le monde.

Le rite que nous accomplissons pour Françoise lui donne une dignité qui

témoigne du regard chrétien sur chaque homme et chaque femme, depuis sa

conception jusqu’à sa mort et même jusqu’à sa résurrection offerte par le

sacrifice de Jésus sur la croix. En célébrant les funérailles chrétiennes de

Françoise, nous la faisons monter jusqu’à l’autel du Seigneur, avec ses drames,

ses histoires, ses odeurs, mais surtout avec son coeur. Un coeur qui a aimé, qui

était digne d’amour et qui voulait être aimé. A chaque fois que j’ai croisé

Françoise à la porte de cette église, elle me demandait si du monde allait venir,

quand serait la prochaine messe. Ces remarques peuvent être interprétées par

une voie que nous pouvons considérer comme uniquement intéressée : allaitelle

avoir de l’argent aujourd’hui par notre aumône ? Elles peuvent être aussi

interprétées par la voie positive : Françoise dans sa déchéance et ses difficultés,

voulait voir du monde, croiser des regards, être saluée, avec ses remarques

parfois désobligeantes qui manifestaient une blessure profonde, comme une

attaque frontale et directe pour être sûr qu’en aboyant en premier on pourrait la

craindre et elle serait protégée par une forme de peur ; un peu comme si sa

forte odeur était une forme d’écran, de protection pour que personne ne

viennent dans son périmètre de vie. Nous touchons ici le grand mystère de

notre humanité, dans sa complexité, ses tourments et ses secrets.

C’est aussi dans cette complexité que le Christ souffrant, maltraité, rejeté,

humilié, enlaidit par nos critiques et nos péchés, se présente à nous pour nous

sauver. Il n’apparaît pas comme un sauveur immaculé mais comme un sauveur

ensanglanté dans sa passion pour les hommes et leur montrer un Dieu proche

de chacune de nos misères. En accompagnant Françoise aujourd’hui, nous

posons l’acte de foi de nous accompagner tous avec le poids de nos misères,

nos secrets et aussi nos projets pour un monde meilleur dans lequel le nom de

Jésus nous sauvera. Notre solidarité rejoint l’épicerie solidaire de sa mère

Louisette qui n’a jamais compté ses sous ni ses heures à soigner les enfants du

Pollet et d’ailleurs. Notre solidarité pour Françoise proclame l’histoire de

Dieppe, profonde et belle, dure et en souffrance, courageuse et généreuse.

Cette vie peut apparaître à beaucoup comme du gaspillage, provoquer de

l’énervement et faire poser des jugements très négatifs.

La foi au Christ permet un autre regard : le regard du tout petit sur le tout petit ;

le regard du frère sur toute situation, sans jugement ; le regard du coeur qui ne

désespère jamais sur la capacité de l’homme à aimer, pardonner, être aimé et

être pardonné.

Dans l’Eglise, par notre baptême, nous savons que nous sommes plongés dans

la vie du Christ avec abondance et pour l’éternité. Françoise restait à la porte

de l’Eglise, sans apparemment oser s’avancer parmi nous pour vivre la

communion de l’humanité avec Jésus. Etait-ce un refus de la foi ? Je n’en sais

rien. Etait-ce la crainte de se sentir jugée ? Je n’en sais rien. Etait-ce un choix

de ne désormais appartenir à aucun groupe reconnu dans la société ? Je n’en

sais rien. Peut-être n’est-ce rien de tout cela ou bien tout cela à la fois.

Aujourd’hui, par ces funérailles de Françoise, nous ne récupérons pas in

extremis une situation dramatique pour nous donner bonne conscience. Nous

offrons à Françoise notre humanité elle aussi marquée par ses misères et nous

lui demandons qu’auprès de Dieu, un peu comme au seuil de l’église, elle nous

accueille de son large sourire édenté désormais transfiguré.

Avec sa misère visible, Françoise présentait sans pudeur le naufrage de sa vie,

là où nous, nous masquons nos échecs, nous cachons nos luttes intérieures,

nous couvrons d'un parfum la puanteur de nos mesquineries et de nos

égoïsmes. Puisse-t-elle nous obtenir désormais la grâce d'être plutôt que de

paraître, d'être chrétien plutôt que de paraître chrétien, d'une vie ordonnée

plutôt que d'une vie semblant ordonnée, d'une existence toute tournée vers le

Christ et donc vers les plus petits plutôt que masquée derrière une sainteté

mondaine.

Françoise était présente à notre vie chrétienne par sa fidélité à la porte de

l’église, chaque dimanche. Aujourd’hui, demain et chaque dimanche, pour

Françoise, demandons au Seigneur d’être mieux encore des frères et soeurs

attentifs pour que l’Evangile de la vie soit le rendez-vous de notre histoire.

Amen.


Geoffroy de la Tousche

Curé de Dieppe

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